Canadian Art Therapy Association

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Se connecter à soi pour mieux se connecter aux autres

Par Marie-Eve Caron (à gauche) et Caroline Beauregard
Sherbrooke, QC

Marie-Eve Caron est art-thérapeute depuis 2018. Elle est coordonnatrice et conférencière du programme d'expression créative de l'Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue et Sherpa University Institute à Montréal.

Caroline Beauregard est art-thérapeute et professeur d'art-thérapie Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue Équipe de recherche et d'intervention transculturelle (Erit) et Sherpa University Institute, en ce qui concerne les communautés culturelles.

L’immigration n’est pas nouvelle. Plusieurs provinces canadiennes accueillent annuellement un nombre important d’immigrants et de réfugiés. Pourtant, un phénomène qui tend à s’accentuer ces dernières années, est celui de la polarisation sociale et de la xénophobie, qui a des répercussions jusqu’en milieu scolaire (Rousseau, Beauregard et Michalon-Brodeur, 2017). Bien que tous les enfants subissent les contrecoups de cette situation, qu’ils soient nés au pays ou à l’étranger, les enfants immigrants et réfugiés pourraient être davantage affectés. Non seulement leur réseau de soutien social est fragilisé par la migration, mais leur lien social avec leur société d’accueil peut aussi être affaibli (Vachon, Caldairou-Bessette et Rousseau, 2017). Cela démontre l’importance d’intervenir tôt auprès de ces enfants, à l’école, afin de favoriser le développement de relations sociales significatives et plus harmonieuses.

Or, comment créer un lien avec d’autres personnes, alors que nous ne nous sommes pas d’abord ouverts à notre propre vécu émotionnel? Nous croyons que des ateliers d’expression créatrice en milieu scolaire pourraient favoriser cette connexion à soi, en particulier les histoires qui y sont racontées. Pour illustrer notre point, nous nous appuierons sur des exemples tirés d’une recherche-intervention que nous avons récemment menée à Sherbrooke (Québec).

À des fins de confidentialité, les noms des enfants ont été changés pour des pseudonymes.

Projet de recherche et ateliers d’expression créative

L’objectif de la recherche était d’explorer comment des ateliers d’expression créatrice en classe (programme Art et Contes) participent à la création et à la consolidation de relations interpersonnelles significatives. Les ateliers sont conçus pour répondre aux besoins d’enfants immigrants d’âge primaire dans un contexte multiculturel, comme les classes d’accueil. Pour les enfants, ces ateliers favorisent l'exploration de leur monde intérieur. Cette étape permet aux enfants de mieux se connaitre et facilite la reconnaissance des émotions chez l’autre, un point de départ pour l’empathie et la création de relations interpersonnelles saines. Le tout est facilité par le choix des histoires qui vont aborder des thématiques comme l’amitié, les émotions, les rêves ou l’entraide, ouvrant un dialogue avec les enfants sur ses sujets.

Art et Contes est un programme offert à l’ensemble d’un groupe, directement dans la classe, à hauteur d’une heure par semaine pour une durée moyenne de 12 semaines. En étroite collaboration avec l’enseignant titulaire, les ateliers sont animés par deux personnes formées en art-thérapie ou dans un domaine connexe (travail social, théâtre, psychoéducation, etc.). L’objectif du programme est de créer un espace ludique en classe où l’expression libre des enfants est valorisée, dans une langue de leur choix, et où ils se sentent en sécurité pour partager leurs expériences quotidiennes, souvenirs, espoirs, inquiétudes, etc. La structure de l’atelier est conservée d’une semaine à l’autre, donnant une stabilité et une prédictibilité bénéfiques pour les enfants. À la suite d’un court rituel d’ouverture qui indique aux enfants l’ouverture d’un espace différent de celui de la classe habituelle, une histoire est racontée par l’intervenant, ou bien imaginée ou racontée par les enfants. Suit une période de création libre permettant aux enfants de s’exprimer sur un sujet de leur choix. Pendant ce moment, les intervenants et l’enseignant se promènent aux tables et proposent aux enfants de parler de leur création, le but étant toujours d’offrir aux enfants un espace d’ouverture et d’écoute empathique où ils peuvent exprimer ce qui les habite. L’atelier se termine par un rituel de fermeture afin de favoriser le retour aux activités habituelles. La progression des ateliers et le choix des contes sont étroitement liés et nous avons accès au monde intérieur des enfants par l’ouverture de plus en plus grande sur les émotions, comme le démontrent les deux exemples suivants.

Apprivoisement

Lors de notre recherche-intervention, la première histoire que nous avons racontée est celle de La soupe aux cailloux (Muth,  2001). Cette histoire est drôle et permet aux enfants de participer à son élaboration et c’est pour ces caractéristiques qu’elle a été choisie pour amorcer la série d’ateliers. En voici son résumé :

« Trois moines voyageant dans les montagnes rencontrent des villageois éprouvés par les aléas de la vie, les rendant méfiant envers les étrangers. Lorsque les moines leurs enseignent l’art de la préparation de la soupe aux cailloux, les villageois redécouvrent tout ce qu’ils ont à offrir. »

Ce début en douceur, avec une histoire simple, permet de mettre les enfants en confiance et d’installer un cadre sécuritaire. Les intervenants vont, par leurs interventions, instaurer un climat de confiance et de non jugement. Cette combinaison sera, au fil du temps, perçue par les enfants comme étant capable de contenir leurs émotions et leurs histoires, les joyeuses comme les tristes. Ce processus d’apprivoisement et de confiance se ressent dans les dessins et les histoires racontés par les enfants. Ce processus d’apprivoisement se voit dans le partage fait par Mark lorsqu’il nous explique son dessin (fig. 1) en disant que : « C’est une soupe aux carottes. » Il est facile d’imaginer que son dessin n’est pas très loin de ce que le livre propose comme images. Ce qu’il exprime dans ce dessin donne peu d’information sur lui ou son vécu.

Ces derniers débutent presque tous par des images stéréotypées ou fidèles à l’histoire racontée, mais graduellement, ils expriment de plus en plus leur vécu personnel. Nous pouvons voir dans les dessins faits durant le premier atelier que le vécu personnel est peu exprimé et que les dessins sont plus génériques.

Suite à la période de dessin, Jamal nous raconte son dessin (fig. 2) en nous disant : « C’est ma maison avec de l’espace pour jouer tout autour. » Son dessin est stéréotypé et l’enfant ne présente aucune information personnelle, que ce soit dans son dessin ou dans son histoire.

Nous avons aussi plusieurs dessins de drapeaux (fig. 3) représentant le pays d’origine des enfants. Avec ces dessins, une petite incursion est faite dans leur vie, mais c’est la seule information personnelle que nous obtenons. Les dessins de Justin et de Fauzi démontrent bien cette tendance.

En réalisant ces dessins, les enfants apprivoisent le nouvel espace d’expression et construisent tranquillement le lien de confiance autant avec leur groupe qu’avec les intervenants. Cette première étape permet d’instaurer un espace d’ouverture menant vers l’expression d’expériences personnelles plus difficiles.

Accueil du vécu

Les histoires que nous choisissons durant les six premières semaines permettent aux enfants d’explorer graduellement leur vécu émotif et personnel. À cet effet, nous avons débuté par deux histoires drôles, suivies d’une histoire sur le courage et la justice, et finalement d’une histoire sur les rêves. Cette progression permet de raconter une histoire au sujet de la perte d’un ami et d’aborder plus directement de leur migration. Le titre du livre utilisé pour cet atelier est : Pourquoi le petit éléphant rose devint triste et comment il retrouva le sourire (Weitze, 1999). Voici un résumé de l’histoire :

« Au départ de son ami Freddy, Benno, le petit éléphant rose devint triste. La chouette Euréka lui donna trois conseils, qu’il suivit à la lettre. Alors, Benno retrouva le sourire. »

Suivant cette histoire, les enfants expriment, par leur dessin ou l‘histoire qu’ils racontent à son sujet, la tristesse et les pertes vécues à la suite de leur migration. Nous pouvons l’observer dans le dessin de Kéza (fig. 4), qui la représente avec sa meilleure amie, et qui pleurent car elles ne peuvent plus se voir. Son amie est restée en Tanzanie tandis qu’elle est partie pour le Canada. Depuis le début des ateliers, c’est la première fois que cette jeune fille nous parle directement de son vécu personnel et des émotions qui y sont liées. Elle nous parle longuement de son amie et de ce qu’elles aimaient faire ensemble. Elle exprime sa tristesse à l’idée de ne plus jamais revoir son amie et de difficilement pouvoir prendre de ses nouvelles en raison des moyens de communication inefficaces.

La tristesse et la perte de personnes proches sont des sujets qui reviennent souvent dans les dessins des enfants, mais elles s’expriment de façon un peu différente. Dayna (fig. 5) et Hakim (fig. 6) représentent directement leur départ en avion. Les deux dessins illustrent la famille qui pleure lors de leur départ en avion, alors qu’au sol se trouvent les amis et la famille élargie qui restent dans le pays d’origine.

En choisissant judicieusement les histoires racontées aux enfants et en leur permettant de s’exprimer librement par le dessin dans un cadre sécuritaire, les ateliers d’expression créatrice en classe semblent avoir permis à ces enfants immigrants ou réfugiés, non seulement de partager les émotions liées à leur propre vécu migratoire, mais aussi d’entrer en relation avec les autres à travers ce partage. Bien que n’étant pas une panacée, nous croyons que ces activités permettent d’ouvrir un dialogue authentique et empathique avec et envers l’autre, et d’ainsi contribuer à amoindrir les polarisations sociales.

Références :

Muth, J.J. (2001). La soupe aux cailloux, Scholastic.

Rousseau, C., Beauregard, C. et Michalon-Brodeur, V. (2017). Penser la prévention pour les enfants réfugiés et immigrants: quand altérité et souffrance sociale se conjuguent. Dans M. Dorais (dir.), Prévenir (p. 105‑167). Québec : Presses de l’Université Laval.

Vachon, M., Caldairou-Bessette, P. et Rousseau, C. (2017). Pratiques soignantes en santé mentale jeunesse auprès des familles réfugiées : répétition traumatique et reconstruction du lien social. Revue québécoise de psychologie, 38(3), 33‑59.