Pourquoi et comment les arts plastiques et la visio-consultation se prêtent aux ateliers d'art-thérapie ?

Emmanuelle Cesari
Paris, France

Emmanuelle Cesari détient un Master en art thérapie de l’université de Paris V Descartes en France et un diplôme de cyberpsychologie de l’université de Paris VII Diderot. Spécialisée en traumatologie, elle dispense des ateliers auprès de victimes d’attentats, de victimes de maltraitance infantiles et de personnes migrantes ou réfugiées
Emmanuelle Cesari holds a master-s degree in art therapy from the University of Paris V Descartes in France and a diploma in cyber-psychology from the University of Paris VII Diderot. Specialized in traumatology, she gives workshops to victims of attacks, victims of child abuse, and migrants and refugees.

 

Aline El Ramy
Beirut, Lebanon

Aline El Ramy détient un diplôme d’Assistance Médico-Sociale de l’Université Libanaise et un certificat de formation en musicothérapie Ambx Bordeaux. Elle est conseillère en soins alternatifs et protection de la jeunesse, pour l’association SOS Villages d'Enfants, au Liban.
Aline El Ramy holds a diploma in Medical-Social Assistance from the Lebanese University and a training certificate in music therapy from Ambx Bordeaux. She is a counsellor in alternative care and youth protection, for the association SOS Children's Villages, in Lebanon.


Résumé

Durant les périodes de confinement dues à la Covid-19 et ses variants, il est important de se voir à distance avec un matériel concret. Alors que nous ne pouvons pas toucher ou palper avec d’autres activités artistiques telles que la danse thérapie ou la musicothérapie. Il s’agit pourtant d’agir à l’aide de l’art. Dans ce cadre virtuel, nous travaillons avec les mains en arts plastiques ; l’expérience sensorielle est au cœur de la thérapie. Elle remet en mouvement ce qui s’était figé par l’isolement prolongé, tel que la parole ou encore l’ouïe. Les arts plastiques renforcent la stimulation cérébrale qui créent de nouvelles connexions dans le cerveau. D’où l’importance de l’art-thérapie qui vient remplacer l’expérience traumatisante de la personne par une autre expérience de création, de plaisir et de joie de vivre. A long terme, l’art-thérapie peut modifier le fonctionnement cérébral et donc permet de court-circuiter la transmission transgénérationnelle de traumatismes et de problèmes psychologiques.

 Mots clés : Art-thérapie, COVID‑19, Cyberpsychologie, Neuropsychologie, Visio-consultation

Abstract

During periods of confinement due to Covid-19 and its variants, it is important to see each other at a distance with concrete material. While we cannot touch, feel with other artistic activities such as dance therapy or music therapy... But it is about acting with art. In this virtual setting, we work with the hands in art, the sensory experience is at the heart of the therapy. It sets in motion what was frozen by the fear of the virus, such as speech or hearing. The visual arts reinforce the cerebral stimulation that creates new connections in the brain. Hence the importance of art therapy, which replaces the traumatic experience of the person with another experience of creation, pleasure and joy of living. In the long term, art therapy serves to modify brain function and thus helps to cut off the transgenerational transmission of traumas and psychological problems.

Keywords: Art-therapy, COVID‑19, Cyberpsychology, Neuropsychology, Vidéo-interview


Introduction

Si l’on part du principe que les arts sont « la neuropsychologie en action » (Zaidel, 2005, p. 6), nous sommes attentives à la plasticité du cerveau et nous travaillons sur les comportements et les habitudes qui peuvent être réappris. Dans un cadre nouveau, nous éprouvons l’ouïe et le toucher, ce qui semble de prime abord impossible en visio-consultation.

Selon Juliet L. King (2019, p. 150), « les art-thérapeutes bénéficient d'une compréhension précise de la base neuronale des effets de l'émotion sur la création artistique et de l'identification de moyens simples pour appliquer cette information dans la pratique clinique quotidienne. »

S’adapter à un cadre différent

Fig 1 - Milho – Un « rato » qui ne rate pas, papiers dessin recyclés, 31 mai 2022

Milho est art-thérapeute et comme il a contracté la Covid, il a éprouvé le besoin de rejoindre l’étude contre l’anxiété due au virus. Pour la dixième séance, il a réalisé un jeu de boîtes pour exprimer son impression d’écran boite. Une boîte dans une boîte, dans une deuxième boîte. « Tout ce qui est télé ou écran est une boîte. Quand on a commencé avec les écrans, c’était comme des boîtes. J’ai donc pris des boîtes ouvertes dans lesquelles je vais rajouter des accessoires. » Les boîtes sont sécurisantes, cadrées et profondes. Avec ses trois boîtes, il a inconsciemment symbolisé l’art-thérapeute, la stagiaire et lui-même, autrement dit la Triade relationnelle.

« Dans un espace virtuel le corps n’y est pas, mais ce n’est pas important. Je suis plutôt allé vers quelque chose d’abstrait. L’absence de corps ne dérange pas. Comme je suis le patient, ça ne me dérange pas, mais quand je suis thérapeute ça me dérange. Ces séances m’ont donné l’opportunité de me sentir mieux et d’être créatif. On est là, dans un espace, dans une boite dans laquelle on peut explorer. Ça bouge beaucoup mais en même temps on peut sortir dès qu’on veut. » Le titre de sa production sera : un « rato » qui ne rate pas. Un oxymore pour exprimer un moment très court mais qui dure longtemps en espagnol. Un bon moment.

Communiquer et éprouver l’ouïe

Caroline habite à Corona aux Etats-Unis. Elle y est arrivée il y a quelques mois et la solitude régente son quotidien. Après s’être rétablie de la contamination, les contacts humains sont devenus très difficiles.

« Dans la situation de Coronavirus, le virtuel nous a sauvés. J’ai commencé par dessiner le microphone. Sans le microphone il est impossible de communiquer. Pour moi il est plus important que l’image. Un rapport avec la musique. Les instructions ont été données par la voix et nous avons beaucoup discuté. Je me suis sentie très proche et nous étions sur la même longueur d’ondes. Très important de mettre le micro. Je suis focalisée sur les voix. Le virtuel m’a aidée à explorer tous mes sentiments. Les angoisses et les inquiétudes derrière la statue de la liberté. »

Utiliser la voix, c’est exister avec toute sa perception identitaire en relation avec autrui dans une dimension individuelle et sociale.

Utiliser la voix, c’est exister avec toute sa perception identitaire en relation avec autrui dans une dimension individuelle et sociale. Utiliser la voix, c’est consolider son sentiment d’exister et donc sa cohérence identitaire (Winnicott, 1969). C’est briser l’isolement et la solitude, créés par la covid, à travers l’expression verbale et vocale afin de libérer les tensions et de se reconnecter avec soi-même et autrui. Selon Kérel Proust (2016), la voix est importante pour se reconnecter avec soi-même au niveau archaïque, puisque le système auditif se développe tôt dans la vie fœtale comme premier moyen de communication. C’est grâce à ces séances que Caroline a levé son mutisme.

Fig 2 - Caroline – Les liens virtuels en ondes, feutres, 28 avril 2022

Selon Nathalie Verdier, Mikael Genguelou et Emilie Tromeur-Navaresi (2021), « Nous voyons aussi apparaître de nouvelles figures d’usagers du numérique, avec les familles d’enfants autistes et les personnes âgées dépendantes. Cela génère une entraide intergénérationnelle chez certains et la nécessité d’un accompagnement technique dans tous les cas, ce qui resitue l’humain au cœur des dispositifs. Concernant les acteurs de terrain, les pratiques professionnelles sont mises en perspective via ces technologies œuvrant aussi à des interpénétrations organisationnelles : les musicothérapeutes, les éducateurs, les psychologues, les animateurs deviennent organisateurs des séances, s’appropriant de la sorte les dispositifs pour développer des usages qui pourraient sans doute être optimisés. »

Retrouver le sens du toucher

Souvent impensé, par son absence, le toucher s’est rappelé à nous. « Les contraintes sanitaires ont rappelé aux gens qu’ils avaient un corps et un sens, le toucher, qui permet des interactions », observe Édouard Gentaz (2018).

Nadine est assistante sociale et après avoir été atteinte par la Covid-19, elle a, elle aussi, ressenti le besoin de prendre du temps pour elle et éprouvé son sentiment face au virus. Elle a symbolisé les mains en les montant sur des baguettes culinaires chinoises et les a habillées de gants bleus en plastique. « J’ai mis du vernis aussi. » dit-elle en riant.

« J’ai mis à l’avant les mains pour rappeler les sens qui ont été coupés pendant la Covid et vraiment aussi pour l’ouverture aux autres. Nous avons beaucoup travaillé le toucher et ça m’a rappelé, les sensations avec les mains, et l’envie de vivre. Le contact physique, même avec la famille, les proches et les amis. Le physique est mon mode d’expression de préférence. Avec la covid c’était handicapant, trop handicapant. Mon langage préféré est surtout le toucher et les mots plutôt que les autres sens ».

On peut voir sans être vu, mais on ne peut toucher sans être touché, ce sens est fondamentalement réciproque, il tisse des liens. Il a deux fonctions complémentaires : il nous permet de définir les limites de notre corps, de nous sentir nous-mêmes, pour ensuite nous projeter, entrer en communication et agir sur le monde. « Le toucher actif permet de connaître le monde et l’éprouver. Cela va du bébé qui met des objets à sa bouche à l’artisan », explique Édouard Gentaz (2018).

On peut voir sans être vu, mais on ne peut toucher sans être touché, ce sens est fondamentalement réciproque, il tisse des liens.

Selon Michèle Molina (2004), le toucher est essentiel dans la relation avec l’autre non pas seulement dans sa dimension émotionnelle mais il permet aussi de diminuer le cortisol et de déclencher la production d’ocytocine (hormone de l’amour et du lien).

Fig 3 - Nadine – Techniques mixtes, 3D, 22 juin 2022

Alors qu’elle travaillait sur les gants, Nadine s’est concentrée sur la Covid-19 quand elle mettait des gants et par le fait de vernir les bouts, les gants se sont transformés. Ce ne sont plus des gants, mais une seconde peau. Nadine signifie qu’elle préférait le contact en face à face. Elle avait pensé, tout d’abord, que ce n’était pas son mode d’expression préféré. Puis elle a senti que finalement, il n’y avait pas de barrière. Il s’agit d’empathie, de présences au-delà des écrans et de travail, surtout avec les mains. Nadine exprime qu’elle avait besoin de nouvelles connexions au niveau du cerveau et d’une connexion cérébrale avec le matériel. Nadine a trouvé l’expérience intéressante au niveau des analyses psychologiques, de la faculté cognitive et de pouvoir se comprendre soi-même, ce qui est le propre de toute démarche psychothérapeutique.

Conclusion

Il est possible d’avancer que la Covid-19 a affecté presque tous les sens pour des années. L’expérience sensorielle s’est chargée de sentiments de peur et d’anxiété avec chaque contact physique et chaque toucher. Cette expérience est devenuetraumatisante. Manipuler avec les mains durant les séances d’e-art-thérapie a créé, par de nouvelles connexions cérébrales, une expérience sensorielle joyeuse et sécurisante. Milho conclura ses séances en écrivant : « Ces séances m’ont donné l’opportunité de me sentir mieux et d’être créatif. Nous sommes là, dans un espace, dans une boîte dans laquelle on peut explorer. Ça bouge beaucoup mais en même temps nous pouvons sortir dès que nous voulons. Ça m’amuse parce que c’est comme si je voyais tout ce que j’ai fait et exprimé avec trois quatre objets devant moi. C’est très joyeux, les boîtes sont joyeuses. »


Références

Gentaz, E. (2018). La main, le cerveau et le toucher : Approches multisensorielles et nouvelles technologies. Dunod.

King, J.L., Kaimal, G., Konopka, L., Belkofer, C. & Strang, C.E. (2019). Practical Applications of Neuroscience-Informed Art Therapy, Art Therapy, 36:3, 149-156, DOI: 10.1080/07421656.2019.1649549.

Molina, M., Van de Walle, G. A., Condry, K., & Spelke, E. S. (2004). The animate-inanimate distinction in infancy: Developing sensitivity to constraints on human actions. Journal of cognition and development, 5(4), 399-426.

Proust, K. (2016). La voix (parlée et chantée) en psychothérapie : effet de contenance et mobilisation de l’archaïque. Cliniques, 12, 22-41.

https://doi.org/10.3917/clini.012.0022

Tisseron, S. (2010). L’empathie au cœur du jeu social. Paris : Albin Michel.

Verdier, N., Genguelou, M. et Tromeur-Navaresi, E. (2021). La musicothérapie en contexte de COVID-19 : quelles adaptations et dans quelles dynamiques communicationnelles ? Communiquer, 32 | -1, 135-152.

Winnicott, D. W. (1969). La capacité d’être seul, dans Winnicott (D. W.), De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1969, p. 325-333.

Zaidel, D. W. (2005). Neuropsychology of art: Neurological, cognitive, and evolutionary perspectives. New York, NY: Psychology Press.






Vol 5 / Issue 3Sarah Gysin