Explorer l’approche sensorimotrice bilatérale d’Elbrecht et amener le changement par l’autocompassion à travers la recherche heuristique
Pascale Laberge-Milot (MA, ATPQ)
Sherbrooke, QC
Diplômée du programme d'art-thérapie de l’UQAT en 2022, Pascale Laberge-Milot travaille principalement avec une clientèle adolsecente, adulte et santé mentale. Elle a d'abord acquis une expérience d'animation d'ateliers créatifs, puis d'enseignement des arts au secondaire avant de débuter en tant qu’art-thérapeute.
Recently graduated from the UQAT art therapy program in 2022, she works mainly with a youth and adult mental health clientele. She first acquired experience in leading creative workshops, then teaching arts in high school before starting out as an art therapist.
L’expression créative met en action, favorisant le mouvement et le changement. Le but de cet article est de témoigner du processus vécu en ce sens dans le cadre de ma recherche-création de type heuristique à la maitrise en art-thérapie.
Par le biais de cette recherche, j’ai exploré l’approche sensorimotrice bilatérale d’Elbrecht et cela m’a également amenée à découvrir le riche apport de l’autocompassion. D’abord, le point de départ de cette recherche provient du constat que l’application de la méthode de dessin par le cerveau droit d’Edwards (2012) apportait souvent un effet apaisant et satisfaisant à mes élèves en arts plastiques au secondaire. Cela m’a inspirée l’utilisation d’une approche me permettant de faire appel au cerveau droit par la création pour mon propre bien-être aux fins de ma recherche. C’est ainsi que j’ai découvert l’approche d’Elbrecht (2018) et je m’y suis initiée avec sa formation en ligne The Transformation Journey offrant des outils d’intervention basés sur le dessin guidé. A travers un processus créatif favorisant l’interconnexion des deux hémisphères du cerveau, tout en revitalisant les sensations, le corps et les émotions, cette démarche m’a permis d’expérimenter en quoi cela pouvait apporter plus de vitalité et d’entièreté à l’existence. De plus, lorsqu’il y a eu un point tournant au cours du processus et que les émotions de tristesse et de colère devenaient plus intenses, j’ai cherché des façons de transformer les affects émergents dans la création et aussi en moi en faisant appel à l’autocompassion.
J’élaborerai brièvement sur l’approche du dessin guidé d’Elbrecht ainsi que sur le concept d’autocompassion, puis j’exposerai en quoi cela a grandement contribué à ma croissance personnelle, m’outillant davantage comme thérapeute.
L’approche sensorimotrice bilatérale d’Elbrecht
Tout d’abord, cette approche permettant de favoriser la quête d’individuation et d’adresser les traumas est dite bottom-up, car elle va du bas vers le haut : des sensations du corps et des émotions vers la réflexion sur ce qui est vécu. Elbrecht (2018) insiste d’ailleurs sur l’importance de veiller au sentiment de sécurité du client en premier lieu, surtout avec une clientèle ayant vécu des traumas. Ensuite, les sphères sensorielles et kinesthésiques sont sollicitées dans la création amenée par des consignes simples émises afin de guider le client. Des matériaux engageant les sens, tels que les pastels secs et gras et la peinture tactile, sont disposés sur un papier fixé devant la personne qui est invité à fermer ses yeux et à utiliser ses deux mains en même temps. De plus, des formes archétypales universelles à connotation masculine ou féminine sont proposées (par exemple le cercle, le point, la vague et le bol, notamment) et il s’agit de motifs que l’on retrouve depuis la préhistoire dans la culture, l’art et la religion Elbrecht (2014). Le dessin guidé facilite l’ancrage et la reconnexion à soi par une proposition de mouvements rythmiques répétitifs permettant l’expression des pulsions physiques instinctives et favorisant l’autorégulation. Comme le faisait Cane (1983) en éducation artistique, le fait d’engager le corps par des mouvements des deux bras invite à une plus grande implication de la personne dans sa création car ses muscles et son système nerveux sont sollicités pour se coordonner avec l’esprit et le cœur, suscitant le rythme et l’équilibre. En art-thérapie, on y fait appel pour stimuler la connexion entre les hémisphères, par exemple chez des clients souffrant de traumatismes car cela favorise l’enracinement de façon active et non-menaçante (Malchiodi, 2020).
L’autocompassion
D’autre part, la compassion consiste en une composante de base de la pleine conscience (Kabat-Zinn, 2011) et celle-ci est de plus en plus utilisée en thérapie en Occident afin de favoriser la conscience de soi dans le non-jugement, le relâchement mental au moment présent ainsi que l’attention aux sens et à la respiration. Or, l’attitude d’autocompassion consiste quant à elle à être ouvert et touché par sa propre souffrance tout en ayant le désir de l’alléger en se traitant avec gentillesse (Neff, 2003). Elle favorise l’accueil et l’intégration des ressentis lorsque des affects intenses sont soulevés. Ainsi, l’autocompassion permet de comprendre sa douleur et son expérience comme faisant partie de la condition humaine sans juger ses faiblesses et ses erreurs (Neff, 2011) tout en jouant un rôle protecteur (Williams, 2018). De plus, l’expérience de l’autocompassion, influence positivement la compassion pour autrui, améliorant ainsi les relations interpersonnelles.
La transformation soutenue par l’art et l’autocompassion
Dans ma recherche, le processus créatif s’avérait le principal outil de collecte et s’est étendu sur une période de neuf mois. Une séance de yoga et de méditation précédait la création artistique, puis j’écrivais mes observations dans un journal réflexif. Cette structure s’est répétée durant quinze semaines, puis après un temps d’incubation, j’ai bouclé le processus par une synthèse créative durant quatre semaines supplémentaires. Une soixantaine de créations ont été réalisées; desquelles des thèmes principaux tels que l’ancrage, les cycles, l’expression des émotions et la transformation ont émergé. Cette expression créative a apporté de nombreuses surprises et prises de conscience m’amenant vers la croissance personnelle. En suscitant les sensations, le mouvement et les émotions d’abord, cela m’a permis de me reconnecter plus profondément dans mon corps avec ce qui m’habite. En tant qu’étudiante en art-thérapie, cela m’a paru pertinent de m’imprégner de mon propre processus dans la matière puisque cela représentera un outil professionnel bien intégré par la suite. J’ai d’ailleurs eu la chance de m’en inspirer lors de mes stages qui ont suivi ce processus pour en faire bénéficier les clients. Finalement, la création artistique a amené un mouvement vers le changement en exprimant des souvenirs et des ressentis en images. Puis, l’art et l’imaginaire ont facilité la transformation des affects, avec l’aide de l’autocompassion, en posant des interventions créatives, significatives et symboliques sur ces images, favorisant ainsi une ouverture vers la croissance.
En conclusion, le processus de mise en action vécu au niveau personnel pour les fins de ma recherche-création à la maitrise me permet de témoigner de l’efficacité de la combinaison de l’approche sensorimotrice bilatérale d’Elbrecht avec l’autocompassion pour l’exploration de soi et le bien-être. A plus grande échelle, l’intégration de cette approche en art-thérapie au Canada m’apparait très pertinente, tout comme le développement d’outils d’autocompassion chez les clients pour favoriser le travail sur soi en profondeur en toute sécurité.
Références
Cane, F. (1983). The artist in each of us (Rev. ed). Art Therapy Publications.
Edwards, B. (2012). Drawing on the right side of the brain (Definitive, 4th ed). Tarcher/Penguin.
Elbrecht, C. (2014). The transformation journey. Johanna Northlander Verlag.
Elbrecht, C. (2018). Healing trauma with guided drawing: A sensorimotor art therapy approach to bilateral body mapping. North Atlantic Books.
Institute for sensorimotor art therapy. (s.d.). The Transformation Journey. https://www.sensorimotorarttherapy.com/the-transformation-journey
Kabat-Zinn, J. (2011). Où tu vas, tu es : Apprendre à méditer pour se libérer du stress et des tensions profondes. J’ai lu.
Malchiodi, C. A. (2020). Trauma and expressive arts therapy : Brain, body, and imagination in the healing process. The Guilford Press.
Neff, K. (2003). Self-compassion: An alternative conceptualization of a healthy attitude toward oneself. Self and Identity, 2(2), 85‑101. https://doi.org/10.1080/15298860309032
Neff, K. D. (2011). Self-compassion, self-esteem, and well-being: self-compassion, self-esteem, and well-being. Social and Personality Psychology Compass, 5(1), 1‑12. https://doi.org/10.1111/j.1751-9004.2010.00330.x
Williams, P. R. (2018). ONEBird : Integrating mindfulness, self-compassion, and art therapy (ONEBird : intégration de la pleine conscience, de l’autocompassion et de l’art-thérapie). Canadian Art Therapy Association Journal, 31(1), 23‑32.https://doi.org/10.1080/08322473.2018.1454687